SPIRIT OF 66, Verviers (B), 02 février 2002

Aaaaah comment parler de Caravan sans remonter un peu (enfin, un peu, je m’comprends) dans le temps. Et pourtant, je suis plutôt arrivé à Caravan "sur le tard", c’est-à-dire lors de la sortie du formidable double album live, intitulé à l’époque "Best of live" et réissu (ça ne se dit pas, ça, réissu …) réédité, donc, récemment sous l’appellation "live at the Faifield Halls, 1974". Ce n’est qu’ensuite, après m’être repu longtemps de cette double galette de vinyle à l’horrible pochette marron, que ma curiosité me fit (un peu) remonter le temps vers les wonderful "in the land of grey and pink" et autre "if I could do it all over again, I'd do it all over you".

(Ce qu’il y a de facile avec Caravan, c’est que rien qu’en citant quelques fois les titres d’album, j’ai déjà rempli une demi-page de review …)

C’est avec de la buée plein les yeux que je l’ai redécouvert, ce double live, devenu simple en CD. Tellement ému que j’ai dû arrêter la voiture pour frotter mes lunettes. (J’en vois qui ne me croient pas, là-bas …. Je vous jure que c’est vrai !)(J’en vois d’autres qui me traitent de vieux débile sentimental là-bas …. Ça c’est possible, oui.)

Enlevez le blues de Camel, rajoutez-y une dose supplémentaire de jazzy, de fraîcheur humoristique et insolente façon anglo-saxon bien mis, saupoudrez le tout d’un groove irrésistible, laissez les chiens aboyer, et vous obtenez Caravan.


Un groupe dont les racines trempent dans les années ’60, "possession" du guitariste-chanteur-compositeur Pye Hastings, avec l’indéboulonnable Richard Coughlan à la batterie, et ayant vu passer dans ses rangs bon nombre des musiciens de la scène Canterbury, dont les célèbres cousins Sinclair.

Ca y est le mot est lâché: Canterbury. Impossible de citer le genre sans parler de Caravan.

Le line-up d’aujourd’hui, plus de 30 ans plus tard, reste fondamentalement ancré dans l’histoire de Caravan. Outre les incontournables Hastings et Coughlan, nous retrouvons avec joie celui qui pour moi, donne depuis longtemps cette coloration si particulière à la musique du groupe: le violoniste-flûtiste Geoff Richardson, membre de Caravan depuis 1972.


Jan Schelhaas n’est pas un claviériste né d’hier. Il faut noter qu’il fut membre de Caravan entre 75 et 78, avant de jouer quelque peu dans Camel aux côtés de Dave Sinclair. Lequel Dave vient il de remplacer dans Caravan … vous me suivez?

Retenez que tout cela est une grande affaire de famille. La place de l’autre Sinclair, le bassiste Richard, parti depuis plus longtemps, sera tenue par Jim Leverton, un pote à Geoff.

Et puis il y a ce deuxième guitariste, une nouveauté dans Caravan, ça, un deuxième guitariste, Doug Boyle. Un nom qui ne me dit rien à première vue, mais qui renseignement pris, s’avère plein de promesses: ce gaillard a, entre autres, été pendant 5 ans le guitariste de Robert Plant ! Et que Pye Hastings (guitariste principalement rythmique) l’accepte comme second guitariste à ses côtés représente également un énorme gage de qualité!!


C’est peu dire que Francis faisait dans ses culottes, en voyant la pauvreté des préventes pour ce concert qui pourtant aurait dû s’annoncer comme historique … c’est donc avec une pointe d’ anxiété que je rejoignais ma "seconde résidence" (comme disent certaines mauvaises langues), avec cette crainte de ne pas pouvoir jouir à fond d’un concert dont on sait qu’il coûte ses boutons de culotte à un ami …

Mes craintes sont vite dissipées: même si ce n’est pas l’affluence des grands soirs, il me semble quand même que la "foule" dépasse facilement le score de 150 obtenu hier à Paris par Caravan. Tant mieux pour tous le monde. Et nous sommes 8 de Prog-résiste, ce qui ne doit pas être loin de notre record absolu !

D’ailleurs, Francis me semble de bonne humeur, et amusé par la décontraction des "stars" anglaises: "t’aurais dû les voir au soundcheck et à table, ils sont hyper-cool et décontractés, ils n’arrêtent pas de blaguer ensemble et ne se prennent vraiment pas la tête; par contre, ils ne sont vraiment plus tout jeunes, on dirait un autocar de pensionnés en villégiature …". Hihihi.


Nous avons aussi des nouvelles quant à l’annulation de la tournée de novembre dernier. Simplement un "tourneur" un peu jeune dans le métier et qui s’est planté ; il ne serait même pas impossible qu’une nouvelle tournée hollandaise soit mise au point avant la fin de l’année, et que celle-ci passe encore par Verviers …

Lumières OFF. Ces messieurs montent en scène. Ah oui, je vois ce que Francis voulait dire: cheveux gris de rigueur, c’est le moins que l’on puisse dire. Pye Hastings m’impressionne. Grand, digne, très classe, le maintien d’un percepteur des postes londonien, le sourire en coin d’un vieux membre du Monty Python … j’ai l’impression qu’il a dû laisser son parapluie et son melon au vestiaire de Madame Geron.

Doug Boyle fait gamin dans la bande, juste en face de moi, à 50cm de mon objectif. C’est aussi lui qui a le plus le look "rocker".


Une question me hantait encore … allaient-ils puiser les morceaux dans les derniers albums, ou rechercher plus loin dans le temps ces merveilles qui ont fait leur gloire ??

Réponse immédiate: "All the Way", le morceau initial, est tiré de "Blind dogs at St Dunstans"(76). Enchaîné avec "Oak" du même album, voilà déjà de quoi nous ravir. Le son est bien celui que j’avais envie de retrouver, la fender rythmique presque clean de Pye, les vieilles sonorités analogiques des claviers de Jan, dont d’excellents samplers de hammond, et la magie du violon de Geoff. Un vrai emballage-cadeau.

Ca sonne et ça tourne rond, comme un vieux moteur bien graissé, en laissant s’échapper d’inimitables odeurs d’huile de ricin, la seule capable de lubrifier ces vieilles machines.

"Liar" est une ballade que je dois avoir entendue une fois sur le plus récent "Battle of Hastings", heureusement plus emballante sur scène que sur disque. Mais voici qu’arrive "The dog, the dog, he is at it again"(73). Polyphonies vocales sur fond de violon, douceur sautillante de la rythmique, avant que ne se lance Jan Schelhaas pour un premier exercice de solo de clavier. De quoi très vite nous faire oublier l’absence de Dave Sinclair. De quoi aussi comprendre sans plus d’hésitation la présence de Doug Boyle sur scène.


Ce type apporte réellement quelque chose à la musique de Caravan. Sa rythmique appuyée, et surtout ses soli formidablement inspirés apportent une énergie nouvelle au groupe. Le risque existait de le dénaturer en le rendant plus rock, je l’ai bien au contraire trouvé enrichi, avec une dose de puissance que je n’aurais peut-être pas préalablement imaginé pouvoir se fondre dans la musique de Caravan. Un grand bravo. Et quelle preuve d’intelligence de la part de Pye Hastings, d’avoir accepté que ce virtuose vienne lui voler une partie de la vedette.

Il faut dire que la grosse tête ne semble pas avoir jamais été une maladie dont a dû souffrir Pye. Ni Caravan en général. Ce que nous voyons est exactement le contraire de l’esbroufe; juste de fabuleux musiciens n’ayant plus rien à prouver, jouant leur meilleure musique avec un entrain conservé, de la façon la plus naturelle qui soit. Le plaisir épuré, quoi.

Et c’est vrai qu’ils semblent prendre leur pied ! Jan Schelhaas sourit tout azimut, et ce n’est pas son petit problème de son (momentané) qui parviendra à le chagriner. Geoff Richardson, quand il ne nous charme pas de ses fréquentes interventions au violon ou à la flûte, exprime clairement son plaisir d’être là, et son étonnement par rapport à la chaleur de l’accueil.


Ah oui, je ne l’ai pas encore dit, ça. Caravan n’est pas au départ un groupe que je classerais dans les plus "chauds", capables d’enflammer le Spirit; et pourtant, dès la fin du premier morceau, ils sont acclamés par de longs et nourris applaudissements, assortis de remerciements et encouragements gutturaux divers (comme ceux que mon voisin semblait prendre plaisir à me hurler dans les tympans)(merci Alain). A voir leur tête, et leurs regards complices, ils ne doivent pas tous les jours recevoir pareil accueil chaleureux.

Après "9 feet underground", et le confirmation des talents du lead-guitariste, Caravan nous présente quelques extraits de son futur album. Comme prévu plus simples et poppy, mais jamais désagréables. Ils permettent au bassiste, sorte de sosie de Joe Cocker, de nous montrer qu’il est également capable de chanter, et même plutôt très bien. Dans le registre de JJ Cale, ai-je trouvé.

Le concert s’achève avec "Backwards", et l’incontournable "For Richard", accueilli dans l’allégresse comme il se doit. Le public réagit avec une vigueur que je n’aurais jamais soupçonné; chant, danse, battement de mains, cris, tout est bon pour insuffler au groupe le fifrelin d’énergie supplémentaire qui fait la différence entre une bonne prestation et un moment inoubliable. Il va encore falloir invoquer la magie du Spirit pour justifier tout cela …


Le groupe revient sans trop se faire prier pour enchaîner deux énormes standards 1973: "Memory lane hugh" et "Head loss". C’est peu dire que nous sommes aux anges. Mais la liste des morceaux prévus sur leur petit papier est maintenant terminée … il va falloir faire fort. Ce que nous fîmes, puisque nous eûmes droit à un dernier “if I could do it all over again, I'd do it all over you” d’anthologie. Avec une demonstration de “cuillères électriques” par Geoff Richardson, invention de lui-même qu’il l’a fait tout seul (avec les fiches de Tonton Victor?)

Deux grosses heures avec Caravan, dans l’ambiance du Spirit, avec le son du Spirit …. Wouaaahh, j’en ai vu après qui n’en revenaient pas, et même des ceusses qui ne connaissaient pas bien le groupe (des jeûnots, quoi), qui étaient venus un peu en touristes, et qui bénissaient ceux qui les avaient persuadés de venir …. (je prendrai une blanche, merci Jean-Marc).

Un petit conseil, mais vraiment entre nous alors …… si jamais ils revenaient, …. Il restait une centaine de places disponibles … enfin, moi, j’dis ça, j’dis rien! (en tout cas, vous n’aurez pas la mienne!)

Piero